Le jour tombe vite, les nuits sont longues, la bise glacée, les étoiles brillent d'un vif éclat, c'est la saison des loups et des prix littéraires ; les prix littéraires sont donnés, les lauriers sont coupés, nous n'irons plus au bois ; les loups d'ailleurs n'y vont plus guère. Les loups sont de moins en moins recherchés. Notre civilisation n'en consomme que très peu. Devenue urbaine, elle dégénère et s'affadit. La littérature d'autrefois, la chanson, le conte utilisaient une grande quantité de loups, bien noirs, bien méchants, bien voraces. On les a tués.

Mais ils se vengent. Le loup est un besoin essentiel, le loup fut un aliment complet, il ne peut mourir entièrement. Il faut des loups, il faut du frisson noir. Sans le loup, on s'ennuierait de la vie.. Il faut qu'une ombre sur le mur allonge un museau qui fasse peur... Chassez le loup par la porte, il revient par la fenêtre et se cache derrière les rideaux. Si ce n'est pas le loup, ce sera Rocambole, Chéri-Bibi ou Fantômas. En un mot, c'est le bandit masqué. Il va dévorer la petite fille, et c'est ça qui est intéressant. On entendra les os qui craquent, il ne restera qu'une natte blonde avec un noeud de ruban, comme un papillon bleu sur un plancher passé à l'encaustique. Quelle attraction, un dimanche ennuyeux, quand le ciel est gris et qu'on ne sait que faire...

On voit par là que le loup ne meurt pas sans avoir pris ses précautions .

Alexandre Vialatte


Ce texte provient d'une émission de radio et dont la transcription fut soigneusement effectuée par Charlie B. qui l'avait posté sur son blog http://db38.spaces.live.com/blog/cns!4FD7949DA7B9D9B9!4387.entry et que je me suis permis de pomper comme un soudard. Simplement parce qu'il a pu rencontrer Desproges et moi pas.