Vie et mort de Ginette Lacarpe

De toutes les chanteuses lyriques, Ginette Lacarpe est sans doute la plus singulière puisqu'elle fut la première chanteuse lyrique authentiquement muette. Pourtant, rien ne prédisposait cette jeune et joyeuse infirmière de l'armée à devenir ce personnage hors du commun. C'est en août 1823 lors de la Bataille du Fort du Trocadéro que le destin de Ginette bascula. Elle fut victime d'une balle perdue qui endommagea irrémédiablement ses cordes vocales. Cette blessure fut d'autant plus désastreuse puisque cette belle et grande jeune femme était dotée d'un organe qui aurait pu rivaliser avec les plus grandes vedettes de l'art lyrique de l'époque. Du point de vue de son travail, il est vrai que les blessés commencèrent à se plaindre le chant de Ginette, qui contribuait d'une manière presque égale à leur rétablissement que les soins médicaux prodigués. 

Celle que l'on appelait désormais dans l'armée,  la Grande Muette fut remerciée sans un mot. Devant tant de malchance, nombreux sont ceux qui auraient sombré dans la dépression et la mélancolie. Mais c'était sans compter sur la détermination et la force de caractère de Ginette qui refusa de se laisser abattre. Elle fit le pari fou de se lancer dans la chanson lyrique pour sourds-muets.

À la force du poignet, elle améliora le langage des signes afin de transposer le plus fidèlement possible les plus grandes oeuvres lyriques. Comme bien souvent, il fallut beaucoup d'obstination à Ginette Lacarpe pour embrasser la gloire à laquelle elle aspirait. Sa démarche souleva d'abord l'incompréhension quand ce n'était pas tout simplement les moqueries du public bien-entendant. Comme lors de la fameuse représentation de la Muette de Portici le 25 août 1830. Paradoxalement, c'est cette désastreuse représentation qui devait mener à la révolution belge qui fit connaître internationalement Ginette Lacarpe.

De grands auteurs tels Arthur de La Feuille ou Oreste Coi, créèrent des opéras lui permettant de développer son talent. Ses interprétations dans Omertà, le chant de La Carpe, Le silence des anneaux, Coupe-chique dans les près ne manquèrent de déclencher des tonnerres d'applaudissements d'autant plus impressionnants que le public lui-même ne pouvait pas les entendre.  Sans oublier La muette de Tchekhov, que ce dernier écrivit en hommage à cette grande artiste.

Elle poursuivit ainsi une carrière internationale, mais l'âge et les rhumatismes commencèrent à affecter ses performances et ses concerts n'attiraient plus que certains amateurs éclairés. Le coup de grâce fût donné par l'immonde Thomas Edison, qui en inventant le phonographe ne faisait qu'allonger la liste de ses trop nombreux méfaits en provoquant ainsi la désaffection des salles de spectacle. Ses prestations étant principalement visuelles Ginette Lacape se retrouva alors sans travail aucun et c'est dans la misère qu'elle mourut le 25 mars 1878.